les aventures du jeune Boniface et de Ptit Gris
« RENCONTRE »
Cette fois-ci s'était décidé, Pascal BONIFACE, fils de Louis et petit-fils d'André, serait, comme son père et son grand-père, pilote d'escargot.
Aujourd'hui, pour ses douze ans, il était bien décidé à prendre son destin en mains et à gagner le Championnat International de rallye à dos d'escargot; seule compétition jamais gagnée dans sa famille.
Chez les BONIFACE, on est pilote d'escargot de père en fils et ce depuis des générations. Tous les hommes de la famille ont été pilotes et ont collectionné rapidement les victoires. Il faut dire que cette carrière est courte. L'on ne peut être pilote de compétition que de 12 à 15 ans. Les règles sont strictes. C'est comme ça dans le sport de haut niveau.
Plus jeune, Pascal BONIFACE s'était déjà essayé à la monte à cru à dos d'escargot sauvage. Il avait alors 9 ans et pensait, comme beaucoup de garçons de son âge, être assez fort pour pouvoir dompter une bête aussi féroce. Par une matinée d'avril, alors qu'il se rendait à l'école du village et que la rosée matinale s'évaporait au fur et à mesure que le soleil se levait, il aperçut un troupeau d'escargots sauvages dévorant copieusement un champ de coquelicots. Tel un serpent cherchant sa proie, rampant au milieu des fougères et fleurs humides, il s'était approché de la meute affamée puis avait bondi sur la coquille du premier escargot à sa portée. D'une seule ruade, ce jeune escargot Bourgogne, mustang des prairies, l'avait alors éjecté de son dos. Le jeune BONIFACE s'était retrouvé les quatre fers en l'air, la tête couverte de pétales de coquelicots fraîchement mâchouillés, ressemblant ainsi à un nain de jardin sans barbe mangeant son bonnet rouge.
Mais cette fois-ci, rien de tout cela n'arriverait. BONIFACE en était convaincu, il allait être le plus grand pilote d'escargot de sa famille et peut-être même devenir, un jour, Pilote de Tortue, consécration suprême dans le monde des pilotes d'animaux sauvages. Personne chez les BONIFACE n'avait atteint un tel niveau. Mais avant tout, il lui fallait une monture digne de ce nom.
Il se rendit chez le Maître Éleveur d'escargots du village. Sur les conseils de ce vieux sage, que l'on appelait l'Héliciculteur, il choisit un mollusque à la coquille grisâtre qui mangeait goulûment un brin de menthe fraîche. Ptit Gris, c'était son nom.
Ptit Gris n'était pas un inconnu dans le milieu très fermé de la compétition. Son palmarès parlait pour lui. Couronné à cinq reprises de « La Feuille de Laitue », sextuple Champion du Rallye des Fougères, une bête de course, une machine à gagner. Comme le jeune BONIFACE, il était issu d'une famille de grands compétiteurs. Son père, Éclair Fougueux, avait été médaillé à plusieurs reprises dans les grands championnats ainsi qu'aux Jeux Olympiques des Mollusques à Coquilles de 1970. Sa mère, Déesse Gluante, était une superbe limace à la jupe noire. Elle collectionnait également les podiums mais dans un autre domaine. C'était un Reine de Beauté et avait été élue Miss Limace 71. Le couple, aujourd'hui retiré du monde de la beauté et de la compétition, vivait paisiblement dans un champs de jonquilles à quelques centaines de mètres de l'élevage de l'Héliciculteur, précisément au Sud, côté plage. Ils profitaient ainsi, tous deux, de l'air vivifiant et iodé du large.
Mais comme beaucoup de champions, Ptit Gris avait également un drôle de caractère. Depuis quelques temps, pour une raison inconnue, il avait décidé de ne plus participer aux compétitions et plus aucun pilote ne pouvait lui monter dessus. Il se débattait, il ruait et mettait à terre tous les jeunes cavaliers qui osaient le défier. L'animal n'était pas docile, toujours sur ses gardes, l'œil alerte et les cornes tendues. L'escargoché n'était pas chose facile.
Le jeune BONIFACE, bien décidé à devenir le plus grand des Escargocheurs, pensant fièrement à ses aïeux, s'approcha sans bruit de la bête sauvage, une feuille de salade à la main pour amadouer l'animal. Ptit Gris, d'un air amusé, tourna la tête en direction du jeune homme et lâcha son brin de menthe. Il oscilla son corps de limace de gauche à droite comme un danseur bouge ses hanches dans un twist endiablé. Sa coquille suivait le mouvement. Ptit Gris regardait attentivement son futur adversaire et semblait lui dire : « Essaie donc tiens... de me monter dessus !!! Essaie un peu, tu vas voir ce que tu vas voir... !!! » .
BONIFACE, les mains sur les hanches, concentré comme jamais, obnubilé par les va et vient de la coquille de Ptit Gris, se balançait d'avant en arrière comme pour prendre son élan. L’Héliciculteur, resté là pour surveiller le jeune homme et son champion cabochard, commençait à avoir le mal de mer. Tout bougeait. De gauche à droite, d'avant en arrière et bientôt de haut en bas. Le Maître Éleveur avait mal au cœur comme s'il se trouvait en plein océan, sur une radeau, au beau milieu d'une tempête. La tension était à son comble, le duel allait commencé.
Ptit Gris laissa dégouliner de sa gueule d'omnivore vorace, un filet de bave verdâtre. A l'instant ou celui-ci toucha le sol, BONIFACE en profita pour lâcher sa feuille de salade et d'un saut, digne des plus grandes grenouilles vivant dans les marécages alentours, enfourcha l'animal, mains sur les cornes du gastéropode, tête baissée. Ptit Gris se mit à bondir encore et encore comme un champion de trampoline, faisant sauter sa coquille et le jeune écuyer installé dessus. BONIFACE s'accrochait de toutes des forces, il grimaçait tandis que son adversaire bavait et remuait dans tous les sens comme habité par le démon de la danse. Le combat entre l'Homme et l'Animal était féroce, digne des plus grands rodéos texans.
Après de longues secondes d'acharnement, Ptit Gris, d'un seul coup, s'arrêta net, et s'allongea de tout son long, tirant la langue, épuisé. Son corps mou d'athlète s'étalait tout autour de sa coquille tel le blanc d'un œuf au plat à peine cuit. BONIFACE n'était pas non plus à la fête. Il transpirait et ses cheveux blond lui tombaient devant les yeux comme les franges d'une serpillière espagnole viennent coiffées le manche du balai qui les supporte.
Le Maître Éleveur, stupéfait d'avoir assisté à un tel combat, était bouche bée. Il n'avait jamais vu un tel duel, aussi acharné. Son mal au cœur avait disparu. Il s'assit sur une pierre afin de reprendre ses esprits. Cette fois, plus rien ne bougeait. BONIFACE et Ptit Gris ressemblaient à des statues de cire, comme tétanisés par l'effort fourni. Le musée Grévin venait de déménager dans sa propriété. Même les autres escargots de l'élevage, pourtant spectateurs avertis, ne bougeaient plus. Tous avaient à la bouche une feuille de salade ou un morceau de légumes bloqué dans la bouche. Tous s'interdisaient d'esquisser le moindre mouvement, estomaqués par le spectacle offert.
L'apprenti escargocheur BONIFACE lâcha alors, peu à peu, les cornes de Ptit Gris. De sa main droite il vint caresse délicatement l'encolure gluante du champion invertébré. Il descendit de sa monture et fit face aux cornes de l'animal. D'un seul mouvement, Ptit Gris se redressa, son corps de limace retrouva l'usage de tous ses muscles. Les deux adversaires semblaient se défier du regard maintenant. Mais ce n'était rien de tout cela. Pour ces deux lutteurs, l'heure n'était plus au défi, mais bel et bien au respect.
BONIFACE, lentement, posa ses mains moites sur la coquille du mollusque qui, malmenée par le combat était aussi tordue et penchée que la Tour de Pise. Il la redressa et bien qu'essoufflé par le combat, dit calmement à son adversaire du jour :
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« Ensemble, nous pouvons être les futurs rois du Championnat ».
Ptit Gris, bien que privé de l'usage de la parole, n'était pas sourd pour autant et comprenait très bien les mots du jeune BONIFACE. Il pencha sa tête toute molle vers le sol, tendit ses cornes et les posa sur les épaules de son escargocheur.
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« Tu as gagné son respect et il te sera fidèle dorénavant « annonça le Sage Héliciculteur.
Une amitié était née, un duo magique existait maintenant. Leur histoire pouvait débuter.
N.V
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